Le moment présent

Pierre Marcotte, auteur

Un insecte vit au cœur de la canopée de sa forêt. Aujourd'hui, il aura trouvé la goutte pour étancher sa soif et grugé un bout de feuille pour satisfaire sa faim. Demain. Il ne sait même pas que ça existe. Il vit. Toute petite partie d'un Monde, insignifiante et essentielle.

Donnez-lui la conscience, la peur et décuplez ses moyens. En peu de temps, il aura extrait tout l’eau disponible dans le mètre cube de son habitacle et empilé toutes les feuilles qu'il aura pu chaparder. Sitôt fait, son environnement aura commencé à se détériorer, sa pile de feuilles se sera desséchée, et la partie de sa réserve d'eau, qui ne se sera pas évaporée, sera tout bêtement impropre à sa consommation. L’insecte meurt.

Trop accumuler mêne à une impasse

Nous possédons un passé, et nous construisons notre avenir parce que nous en sommes conscients. Le moment présent est encombré de cette connaissance. Et quoi que l'on ait thésaurisé, une goutte d'eau et un bout de feuille sont suffisants pour vivre quotidiennement.

Mais nous avons une conscience. Celle de l'Histoire et celle de notre histoire. Nous avons la peur aussi. Celle du manque et de la souffrance. Alors, plutôt que de ne récolter que le bout de feuille nécessaire et de ne boire que notre ration d'eau, nous accumulons plus que nécessaire. Cette peine bien inutile a le double désavantage de nous conduire au surmenage et de contribuer à la détérioration de notre milieu. Impasse.

Pourtant, rien ne manque

Cette métaphore de l'insecte émerge de l'expérience que je vis en ce moment même. Depuis quelque temps, je souffre d'un terrible mal d'épaules. Acculé au pied du mur, je me vois contraint à l'introspection. L'accouchement de MeoTempo est long, très long. Depuis bientôt quatre années, je m'y consacre à plein temps. Ce travail est venu puiser dans toutes mes réserves, tant monétaires que physiques et mentales. Quelque chose ne tourne pas rond. J'en ai trop sur les épaules. Elles me le crient, bruyamment. Pause. Ce que je découvre me contrarie. Je constate que j'ai la croyance qu'il faut à tout prix que j’atteigne un immense succès commercial pour pouvoir enfin vivre. Pourtant, ni la goutte d'eau ni le bout de feuille ne sont sur le point de me faire défaut.

L’exigence de vivre le moment présent

Vivre le moment présent requiert de la vigilance et du discernement. Nous faisons partie de l'Histoire et nous avons la nôtre, celle qui nous est propre. Nous appartenons à une espèce dont les activités ont un effet important sur l'équilibre mondial. Il en va de même pour notre propre équilibre personnel sur lequel nous avons beaucoup de pouvoir. Deux fragilités : notre environnement extérieur et nous-même. Bien sûr, la fourmi de la cigale n'a pas tort; il faut être prévoyant. Il faut penser à l'avenir de la planète aussi bien qu'il faut penser à notre propre avenir. Mais cela ne peut se faire qu'au quotidien, moment après moment. Le passé appartient au passé; il n'est plus, et le futur n'est pas encore là. On ne peut porter sur nos épaules que le fardeau d’une journée à la fois. Cela suffit. Il faut simplement le faire en étant conscient de l’endroit d'où nous arrivons et de celui vers lequel nous nous dirigeons. Surtout, ne pas oublier de vivre!

Un moment de ma vie

Ce texte fait partie d'une œuvre sur laquelle je travaille depuis longtemps. Vous êtes témoin d'un moment présent de ma vie.

Capture d’écran prise a posteriori

Il est consigné dans un événement placé dans MeoTempo, à la case horaire du 23 avril 2014 à 16h45. En ce moment précis pendant lequel j’écris ces lignes, l'icône « soleil » apparaît dans le coin supérieur droit de cet événement, lequel appartient à l'activité « Travail > Aranatha > Fondements > Rédaction > Première édition » (voir la capture d’écran prise à postériori). Il est bien incarné dans ma vie, a un sens profond et s'inscrit dans ma propre histoire. Aujourd’hui, contraint par l’état de mes épaules et conscientisé par le courriel bienveillant d'une amie, j’ai pris la décision de m'arrêter pour réfléchir et écrire. J'ai utilisé une petite partie du budget de temps déjà attribué à la rédaction de cette publication. Je savais qu'aucun événement actuellement placé dans les bandes « Jour », « Semaine » et « Mois » n’avait préséance. Donc, confort et absence de culpabilité pour vivre et me consacrer entièrement à ce moment.

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Voilà une réflexion sur le concept du « moment présent » et, plus largement, une illustration de ce que j'entends par « humaniser l'agenda ».